Bio, biodynamie et véganisme : un trio gagnant… ou pas pour le vin ?

16 octobre 2025

Dans la jungle des étiquettes et des médailles, l’affichage « vin biologique » ou « vin biodynamique » séduit de plus en plus de consommateurs soucieux du vivant… et parfois, du bien-être animal. Sauf que : bio, biodynamie, et véganisme, ce sont trois univers qui se croisent sans forcément fusionner.

  • Bio (label AB, Eurofeuille, etc.) : garantit l’absence de pesticide et de fertilisant de synthèse à la vigne, une liste de produits autorisés plus restreinte au chai, et des taux de sulfites limités. Rien sur la question animale dans le cahier des charges (Ministère de l'Agriculture, 2022).
  • Biodynamie (Demeter, Biodyvin…) : pousse le curseur encore plus loin, avec une approche holistique (traitements à base de plantes, cycles lunaires, compost biodynamique). Le règlement exige des préparations souvent réalisées… avec du fumier animal ou de la bouse de vache, entre autres.
  • Véganisme : refus de toute exploitation animale, aussi bien dans le vignoble que dans le chai (ni œufs, ni lait, ni colle de poisson pour la clarification, etc.).

Illustration parlante : en France, sur plus de 145 000 hectares de vignes conduites en bio ou conversion, seuls environ 600 vins portent une vraie certification végane ou l’indication “végan” sur leur étiquette (source : Vitisphere, 2022 ; The Vegan Society, 2023).

Même chez les amateurs, la surprise est souvent totale. Pourquoi du poisson ou du lait dans le vin ? Pour comprendre les liens (et les obstacles) entre certifications et véganisme, passage en revue des pratiques courantes.

  • Colle de poisson (ichtyocolle) : utilisée pour clarifier (coller) les vins blancs et rosés, tradition remontant au Moyen Âge !
  • Blanc d’œuf ou poudre d’albumine : star de la clarification des rouges tanniques, notamment à Bordeaux.
  • Caséine (protéine de lait) : pour stabiliser et « adoucir » certains vins.
  • Gélatine animale : fréquemment utilisée dans les vins d’entrée de gamme du monde entier.
  • Sang séché (interdit en France depuis 1997, mais utilisé ailleurs jusqu’à récemment).
  • Corne, bouse et intestins d’animaux : en biodynamie, pour les fameuses « préparations 500, 501 », enfouies dans les sols pour dynamiser la vigne.

La demande mondiale de vins végans souligne l’importance de la question : on estime qu’en 2023, le marché des vins étiquetés “vegan-friendly” a crû de 13% en Europe de l’Ouest (IWSR Drinks Market Analysis, 2023). Pourtant, la part des vins “nature” et “bio” réellement 100% véganes demeure ultra-minoritaire.

Le bio privilégie la planète, la santé du sol, la vie des insectes – mais pas celle de tous les animaux. Ni la réglementation européenne (CE 2018/848), ni le label AB ne proscrivent l’utilisation de blancs d’œufs, de caséine, de colle de poisson… tant que ces produits sont eux-mêmes bio. Un vin bio peut donc être clarifié avec du blanc d’œuf bio, et porter malgré tout le label AB. L'étiquette ne vous dira rien de ce détail, sauf mention “non filtré”, “sans collage”, ou certification végan explicite.

  • Exemple : Château Guiraud, premier Grand Cru Classé certifié bio, utilise des blancs d’œufs pour la clarification de ses vins (source : Château Guiraud, FAQ).

La confusion est telle que 66% des consommateurs français pensent qu’un vin bio est forcément “sans ingrédient d’origine animale” ! (source : Vegan France Interpro, 2021).

La biodynamie fascine, intrigue… et complique le débat. Demeter et Biodyvin imposent des pratiques bien plus strictes pour la vigne, la biodiversité et la vinification, mais les préparations biodynamiques sont au cœur-même d’un paradoxe inavoué : l’utilisation de matières animales n’est pas l’exception, c’est la règle.

  • Corne de vache : pilier de la préparation 500, remplie de bouse et enterrée ; puis dynamisée et pulvérisée sur les sols en infusion.
  • Vessie ou crâne d’animal : pour la préparation 502 ou 505, toujours selon la tradition de Rudolf Steiner (fondateur de la biodynamie).
  • Certains domaines biodynamiques : font aussi appel à des apports en laine, du lait cru, ou des sous-produits animaux pour stimuler microbiote et fertilité.

Cela rend la certification Demeter ou Biodyvin pour le vin strictement “végan” impossible... sauf cas très particuliers (propriétés cultivant hors animaux, qui restent ultra confidentielles ; absence de précision dans les référentiels).

Label Sensibilités Utilisation possible de produits animaux
Bio (AB, Eurofeuille) Protection environnement, santé des sols, réduction chimie Oui (œufs, lait, poisson, etc.)
Biodynamie (Demeter, Biodyvin) Pratiques agricoles holistiques, cycles naturels, sols vivants Oui (corne, bouse, préparations animales), voire systématique
Vegan certifié (V-Label, Vegan Society, EVE Vegan, etc.) Aucune exploitation animale à aucun stade Non : ni dans le vignoble, ni au chai

Face à la confusion, quelques labels dédiés ont vu le jour, principalement portés par l’essor du véganisme alimentaire depuis 10 ans. Ils garantissent le suivi complet de la production, de la parcelle à la commercialisation.

  • V-Label : label européen parmi les plus stricts. Son cahier des charges interdit toute utilisation directe ou indirecte d’ingrédients ou de processus d’origine animale.
  • Vegan Society (UK), EVE Vegan (FR) : cahier des charges équivalent, vérifications sur site, traçabilité.
  • Plusieurs caves françaises reconnues (Domaine des Deux Moulins, Bulles de Ruche…) portent ces certifications.

En 2024, on compte moins d’une vingtaine de domaines en France à la fois labellisés bio/biodynamie et arborant en plus le label “vegan” officiel sur tout ou partie de leur gamme (source : EVE Vegan). Ce chiffre reste infime face aux 9000 domaines certifiés bio.

L’alliance parfaite ? Produire un vin bio et végan impose :

  • Zero produit animal au vignoble (ni fumier, ni cornes, ni laits… jusqu’aux engrais verts d’origine strictement végétale).
  • Ni blanc d’œuf, ni colle de poisson, ni gélatine au chai : clarification avec bentonite (argile), pois, pomme de terre, charbon végétal…
  • Gestion pointue des risques (contamination croisée, approvisionnements, certificat de traçabilité stricte, audits).
  • Idéalement, affichage clair de la mention “vegan” ou du pictogramme V-Label, évitant toute ambiguïté auprès des consommateurs.

Plusieurs vigneron-ne-s pionnier-ère-s innovent avec brio. Exemple : le Domaine du Nival, au Québec, ne travaille qu’avec des engrais végétaux et utilise la bentonite pour clarifier ses vins “nature” et certifiés végan. Même chose au Domaine du Petit Béret, dans l’Aude, où la mention vegan certifiée est à présent sur chaque bouteille.

  • Absence d'obligation d’indiquer les auxiliaires de clarification ou les intrants sur l’étiquette (hors allergènes).
  • Divergences majeures entre référentiels de labels (bio / biodynamie / végan), qui ne communiquent pas clairement entre eux.
  • Communication des domaines souvent axée sur l’écologie et le terroir, pas sur les intrants d’origine animale.
  • Poids de la tradition et méconnaissance des alternatives.

Depuis la mise en place du nouveau règlement européen sur l’étiquetage des ingrédients des vins (CE 2021/2117), certains vignerons commencent à informer leurs clients, mais l’ubiquité du terme “nature”, “éthique”, “responsable” sans mention “vegan” reste un piège à éviter pour les consommateurs pointilleux.

  • La génération Z plébiscite les produits végans : selon une étude Kantar 2023, 35 % d’entre eux se disent “sensibilisés” à la question des intrants animaux dans, et hors de, leur assiette.
  • Les distributeurs spécialisés (La Vie Claire, Naturalia, The Good Food Institute) poussent à plus de clarté et promeuvent l'affichage “vegan” en rayon.
  • Le marché allemand est pionnier avec plus de 1 500 vins labellisés V-Label en 2023.
  • L’apparition de vins “vegan & bio & sans sulfites ajoutés” signe l’arrivée d’une nouvelle catégorie (voir Domaine Catherine & Pierre Breton).

Entre biodynamie, bio et véganisme, l’écart existe – pas nécessairement par contradiction philosophique, mais par histoire, tradition, et pragmatisme réglementaire. Le défi aujourd’hui ? Exiger une transparence sur les pratiques, garantir l’absence de produits animaux quand cela importe, et éduquer sans culpabiliser. La loi française progresse à petits pas, sous la pression des associations et de consommateurs bien informés. Un jour prochain, la mention des ingrédients sur chaque bouteille deviendra peut-être la norme : ce sera le vrai signal d’une révolution, pour le vin et pour le vivant.