Vin bio, biodynamie et véganisme : alliés ou faux amis ?

10 octobre 2025

À l’ère du vin engagé, le flacon idéal existe-t-il ? Entre labels bio, exigences biodynamiques et revendication végane, la confusion est totale. Certaines bouteilles affichent fièrement plusieurs de ces labels. Mais qu’y a-t-il vraiment derrière ? S’il est (presque) évident qu’un vin biologique limite pesticides et intrants chimiques, peut-on pour autant penser qu’il est automatiquement végane ? Pas si vite.

Petit rappel des bases :

  • Biologique: produits issus d’un terroir où pesticides et engrais de synthèse sont bannis, respect du sol et du vivant en surface.
  • Biodynamique: version renforcée du bio. Ici, l’usage de préparations “magiques” à base de matières naturelles (et parfois animales!), le respect du calendrier lunaire, et une philosophie “globale” du vignoble prévalent. (Cf. Demeter France, Biodyvin)
  • Véganisme: zéro ingrédient ni intrant d’origine animale, à la vigne, au chai, à la stabilisation, et même… dans la colle de l’étiquette !

C’est la question qui fâche. Un chiffre parlant : moins de 2 % des vins bio en France revendiquent la mention “vegan” sur leur étiquette (VegOresto). Or, une certification bio ou biodynamique ne garantit absolument pas l’absence de produits animaux. Pourquoi ? Car le règlement européen Bio (n°2018/848) ne l’exige tout simplement pas.

Même topo côté biodynamie : les labels Demeter ou Biodyvin autorisent, voire encouragent, l’usage du fumier, des cornes de vache (dynamisées dans la fameuse “préparation 500”), ou de la bouse d’origine animale.

Plusieurs intrants animaliers courants dans le bio-biodynamique :

  • Utilisation de fumier ou compost animal en fertilisation (bio ET biodynamie)
  • Préparations à base de bouse, cornes ou intestins animaux (biodynamie)
  • Protéines laitières ou gélatine animale pour le collage (= clarification du vin)
  • Caséine, albumine d’œuf, colle de poisson ou de sang de bœuf en clarification (oui, même sur certif’ bio ! Source : Ecocert)

En clair : un vin certifié bio ou biodynamique peut tout à fait contenir des traces ou avoir été en contact avec des produits animaux durant son élaboration. C’est là tout le paradoxe.

La clarification – le fameux “collage” – consiste à éliminer les particules (protéines, résidus de levure, etc.) qui troublent visuellement le vin. Traditionnellement, les vignerons ont utilisé des protéines d’origine animale pour cette étape :

  • Blancs d’œuf (albumine), surtout dans le Bordelais (source : Institut Français de la Vigne et du Vin)
  • Colle de poisson (isinglass), très courante en Champagne
  • Caséine (issue du lait)
  • Sang de bœuf (interdit en Europe depuis 1997 mais encore utilisé hors UE)

Si l’utilisation de produits animaux décline, elle n’a pas totalement disparu, même en bio : selon l’Observatoire du vin bio (2022), près de 40 % des domaines bio français utilisent des colles animales pour au moins une partie de leurs vins… contre moins de 10 % chez les domaines “vegan friendly”.

Heureusement, plusieurs alternatives végans existent :

  • Protéine de pois ou de pomme de terre
  • Charbon végétal
  • Bentonite (argile naturelle)
  • Protéines végétales isolées
Mais leur adoption dépend de la sensibilisation du vigneron et du cahier des charges suivi.

La biodynamie attire un public sensible à la cause animale par son approche holistique du sol, des plantes et des cycles lunaires. Mais attention : sa philosophie considère l’animal comme un acteur clé de l’écosystème. Les cornes de vache enterrées et remplies de bouse pour “dynamiser” le sol, ou encore les tisanes préparées dans des vessies animales, font partie intégrante du processus (Demeter).

Les labels reconnus, comme Demeter ou Biodyvin, imposent dans leur cahier des charges l’utilisation de “préparations animales dynamisées”. Impossible donc qu’un vin certifié biodynamique soit totalement végane, au sens strict. C’est un point de friction fréquent entre amateurs de vins éthiques : le respect du sol, oui, mais au prix de l’utilisation des animaux... ?

En France, la mention “vin vegan” n’est ni officielle ni encadrée par la législation viticole (DGCCRF, 2023). Ce sont donc des labels privés (Vegan Society, EVE, V-Label, Expertise Vegane Europe…) qui fixent leurs exigences.

Pour être labellisé vegan, un vin doit :

  • Garantir aucune utilisation de produits ou sous-produits animaux, de la vigne à la mise en bouteille
  • Assurer la traçabilité totale de chaque intrant (“cross contamination” incluse)
  • Élaborer les vins uniquement avec des colles et clarifiants d’origine végétale ou minérale
  • Parfois, aller jusqu’à contrôler la colle utilisée pour l’étiquetage ou les capsules

À l’international, cela reste marginal : selon Wine-Searcher (2023), moins de 4 % des vins référencés dans le monde portent un label vegan (Wine-Searcher), et la France n’arrive qu’au 5e rang mondial.

Un domaine peut donc être bio, biodynamique, nature… mais non vegan. Et inversement.

Type de vin / certification Label Bio Label Biodynamie Label Vegan Intrants animaux autorisés ?
Vin conventionnel Non Non Non (dans la majorité) Oui
Vin biologique Oui Non (sauf triple labellisation) Parfois Oui (collage, fumiers…)
Vin biodynamique Oui (prérequis pour Demeter…) Oui Non Oui (préparations animales, collage possible…)
Vin végane Parfois Rarement Oui Non
Vin nature “pur jus” Parfois Parfois Parfois Parfois

Les attentes évoluent, et les consommateurs s’informent. Selon une étude Sopexa 2022, 28 % des amateurs de vin en Europe souhaiteraient voir figurer un label “végan” sur les bouteilles, dont plus de la moitié seraient prêts à payer 10 % de plus pour cette certification !

De nouveaux acteurs fleurissent : parmi eux, de grandes maisons comme Gérard Bertrand, Château Maris, ou encore de petits domaines (Mas des Agrunelles, Domaine Padié) qui font de la traçabilité végane un argument de vente.

Malgré tout, la majorité des vignerons français peinent à communiquer sur ce point, par peur de complexifier encore l’offre… ou de heurter une clientèle attachée à l’artisanat traditionnel.

La pression réglementaire est lente à venir, en France comme dans l’UE. Les principaux freins :

  • L’attachement culturel à certaines pratiques traditionnelles viticoles
  • La méconnaissance du “problème” par le grand public
  • L’absence de cahier des charges légiféré sur le vin végane
  • Le coût d’une certification supplémentaire

Des associations militent aujourd’hui pour l’obligation de mentionner les intrants sur les contre-étiquettes (lobbying déjà à l’œuvre auprès de la Commission européenne pour une entrée en vigueur progressive à l’horizon 2026 – source : Prowein, 2024).

À surveiller aussi : l’émergence des “labels mixtes”, qui pourraient harmoniser certification bio et exigences véganes sans contradiction (initiatives pilotées par V-Label ou EVE pour les vins d’Espagne et d’Italie).

Choisir un vin à la fois bio, (ou biodynamique), végane et bon, c’est le graal pour une part croissante d’amateurs exigeants. Si les certifications bio et biodynamiques sont souvent garantes de qualité et durabilité, elles ne suffisent pas à répondre à 100 % aux attentes véganes.

Aujourd’hui, pour être sûr de déguster un vin éthique au sens large (environnemental et animal), l’idéal reste de :

  • Chercher les labels ou mentions “vegan” reconnus
  • Demander une fiche technique complète au producteur
  • S’intéresser aux vins natures, souvent non-collés mais pas toujours végans pour autant
  • Soutenir les domaines artisans qui jouent la carte de la traçabilité et de la transparence totale
Le mouvement est lancé, mais la vigilance s’impose pour ne pas confondre vin “vert” et vin “vegan”.

Le débat fait rage : le vin parfait existe-t-il, respectueux de la terre, des hommes… et des animaux ? Il appartient désormais à chaque amateur de choisir son propre équilibre entre convictions et plaisirs du palais. Une chose est sûre : la prise de conscience ne fait que commencer.