Vins français et labels véganes : révolution éthique ou simple coup de com’ ?

16 septembre 2025

Dans l’inconscient collectif, le vin français, c’est d’abord une histoire, un terroir, une tradition séculaire souvent vêtue d’une aura presque mystique. Mais derrière l’élégance des flacons, les méthodes de production varient beaucoup plus qu’on ne le pense — surtout quand il s’agit de clarification et de collage. Et là, pas de magie : œufs, poissons, lait ou gélatine sont fréquemment appelés à la rescousse, même chez les vignerons les plus respectés. C’est précisément à cette croisée des chemins entre tradition et attentes actuelles qu’apparaît le fameux label végane.

Depuis 2018, le marché des vins étiquetés véganes connaît une croissance exponentielle, notamment en France, où, selon IWSR Drinks Market Analysis (2023), la demande de vins éthiques représente près de 12% de la croissance du marché global du vin tranquille. Mais faut-il prendre ces labels au sérieux ou s'agit-il d’un simple argument marketing visant à séduire une clientèle en quête de sens ?

Avant de se pencher sur les labels, un rappel s’impose : tous les vins issus de raisins ne sont pas forcément végétaliens. Le processus de collage, destiné à clarifier le vin, s’effectue traditionnellement à l’aide de blancs d’œufs, de caséine (protéine lait), d’ichtyocolle (issu de la vessie de poisson), ou de gélatine de porc ou de bœuf. Or, ces produits se retrouvent, à des traces, dans le flacon final.

Pour être qualifié de « végan », un vin doit respecter deux critères essentiels :

  • Exclure absolument tout matériau d'origine animale (y compris colles, graisses, agents de filtration, etc.) à toutes les étapes de la vinification.
  • Garantir une traçabilité sur ces pratiques auprès de l’ensemble de la filière, des cépages à l’embouteillage en passant par l’étiquetage.

En France, la question de la certification végane se pose d’autant plus que le terme « vin végan » n’est pas encadré par une législation nationale ou européenne, contrairement au label Bio, par exemple.

À partir de 2017, sous la houlette de la Vegan Society (Royaume-Uni) puis de l’European Vegetarian Union (label V-Label), les labels véganes pour le vin se développent en Europe, dont la France. Le label EVE Vegan (Expertise Vegan Europe), basé à Paris, est aujourd’hui le référentiel privé le plus visible parmi les vignerons français.

  • EVE Vegan : certification indépendante, audits sur site, vérification documentaire précise de toute la chaîne de production.
  • V-Label : présent dans 42 pays ; concerne aussi bien les vins que la restauration collective ou la cosmétique.
  • Vegan Certification de la Vegan Society : historiquement le premier, développement rapide sur le marché britannique puis européen.

En France, près de 380 domaines vinicoles ont au moins un vin certifié végan ou revendiqué comme tel, d’après un recensement (Green Queen, 2023). C’est encore moins de 2% du parc total, mais la dynamique s’accélère : +75% d’inscriptions de cuvées labellisées entre 2020 et 2023.

Impossible d’esquiver la question qui fâche : aujourd’hui, le label végane est-il justifié par une réelle exigence ou seulement piloté par l'appétit grandissant des consommateurs pour les promesses vertes ?

  • Une partie des vignerons appliquent déjà des pratiques 100% végétales, sans pour autant se faire labelliser : pour eux, l’éthique parle d’elle-même.
  • À l’inverse, certains grands groupes mettent en avant des labels principalement comme argument de différenciation commerciale… Parfois sans réelle remise en question de leur impact global.

Selon Wine Intelligence/ProVeg International (2022), en France, 68% des consommateurs reconnaissent spontanément le label bio sur le vin, mais seulement 11% savent repérer ou citer un label végane. Pourtant, la demande existe : sur le segment des 18-35 ans, un quart des interrogés déclare rechercher systématiquement cette mention lors de leurs achats.

Mais la question de la sincérité derrière le label reste ouverte. La certification végane, contrairement au bio, coûte relativement peu cher (environ 400 à 800€ la première année, selon le nombre d'audits). Résultat ? Certaines maisons ne la sollicitent que pour des cuvées d’appel, alors que l’ensemble de leur production ne suit pas ce cahier des charges sur le fond.

Des contrôles inégaux selon les organismes

Les certifications (EVE Vegan, V-Label, Vegan Society) diffèrent sur plusieurs points :

  • Certains labels exigent un audit sur site tous les ans ; d’autres se basent sur un audit documentaire seulement, tous les deux ans.
  • Très peu de tests laboratoires sont demandés sur d’éventuelles traces résiduelles.
  • Le contrôle du process dépend... de la bonne foi et des preuves transmises par le producteur.

Cela ouvre la porte à des incohérences.

L’absence de cadre légal : terrain glissant

Contrairement à l’agriculture biologique (label AB et certification européenne Bio UE), il n’existe à ce jour aucune définition légale du vin végan au niveau français ou européen (source : DGCCRF, 2023). Résultat : certains producteurs s’auto-attribuent la mention « vegan friendly », blanche de toute vérification.

Le piège du greenwashing

Nombre d’associations — l’UFC-Que Choisir par exemple — alertent sur le risque de greenwashing. Les labels éthiques sont très recherchés dans les rayons mais leur multiplication (bio, biodynamie, HVE, vegan…) brouille les pistes et laisse parfois place à la confusion pour les consommateurs (Le Figaro Vins, 2022).

D’autant que le label végane ne dit rien sur d’autres aspects éthiques : un vin certifié végane peut très bien être issu d’une agriculture conventionnelle, de traitements pesticides chimiques, ou de pratiques sociales peu recommandables.

  • Moteur de transparence: Pour les consommateurs végans, allergiques ou simplement désireux de consommer autrement, le label apporte un repère fiable (sauf auto-certification sauvage). À noter : près de 35% des nouveaux acheteurs de vins véganes en France ne sont pas eux-mêmes végans - ils recherchent un produit « plus clair » sur sa composition (IPSOS/ProVeg France, 2023).
  • Effet d’entraînement: Les labels incitent la filière à revoir ses pratiques, à améliorer la traçabilité, et — restons optimistes — à adosser plus sérieusement l’éthique à la technique.
  • Le casse-tête du choix pour le consommateur : Multiplication des logos, complexité des informations sur les étiquettes, faible visibilité de la démarche végane en cave ou en grande surface. Un effort de pédagogie et d’information sincère est plus que jamais nécessaire !

Face à la jungle des labels, voici quelques pistes pragmatiques pour s’y retrouver :

  1. Ne pas se contenter du logo : S’informer sur les pratiques du domaine (collage, filtration, traitements) via leur site ou en contactant le vigneron directement.
  2. Privilégier les labels avec audits sur site et documentation publique (EVE Vegan, V-Label).
  3. Attention aux arnaques du « vegan friendly » non certifié — un coup de com’ parfois purement cosmétique.
  4. Ne pas hésiter à croiser les labels : un vin végane et bio, ou végane et sans sulfites, allie souvent plusieurs niveaux d’exigence.

Évacuer d’un revers de la main l’intérêt des labels végans serait faire injure à la somme d’efforts consentis par des vignerons réellement engagés. Oui, le marché du vin en France voit fleurir (parfois opportunément) les logos végans, et certains les utilisent à des fins purement marketing. Mais la montée de ces certifications accompagne une révolution en profondeur : celle de la transparence, du dialogue consommateur-producteur, et, soyons clairs, de la remise en question salutaire d’une filière restée longtemps opaque.

Pour les consommateurs, la vigilance reste de mise, tout comme la curiosité et l’exigence d’informations concrètes venues de la filière. S’il ne garantit pas à lui seul le vin parfait, le label végane a du moins le mérite de poser de vraies questions — parfois inconfortables mais cruciales — concernant les valeurs qui se cachent derrière chaque bouteille ouverte.

Sources : IWSR Drinks Market Analysis (2023), Green Queen (2023), Wine Intelligence & ProVeg International (2022), IPSOS/ProVeg France (2023), DGCCRF, Le Figaro Vins (2022), UFC-Que Choisir.