Vinification végane et grands vins français : la révolution plébiscitée ou contestée ?

28 septembre 2025

La France, avec ses AOC jalouses de leur passé et leurs assemblées d'œnophiles érudits, n’est pas réputée pour adopter le changement à bras ouverts. Et pourtant, la vague de la vinification végane s’invite avec force dans des chais où l’œuf, la gélatine ou la colle de poisson régnaient, il y a peu encore, sans partage. Impossible de prétendre aujourd’hui s’intéresser au vin “autrement” sans croiser ce sujet, qui divise, passionne... ou effraie franchement !

Mais concrètement, ces innovations passionnent-elles les puristes qui font battre le cœur des grands vins français ? Ou bien s’arrêtent-elles aux portes des bars à vins bobos ? Analyse sans filtre d’un paysage viticole en pleine effervescence.

Avant toute chose, balayons les préjugés et faisons le point sur les vraies avancées. Être “vin végane”, c’est plus qu’un effet de mode ! Cela implique :

  • Le non-recours à tout intrant d’origine animale (blancs d’œufs, colle de poisson, caséine, etc.) lors de la clarification, du collage et parfois même lors du bouchage (colle à base de lait sur certains bouchons !).
  • L’utilisation de nouveaux agents de collage : protéines végétales (pois, pomme de terre, blé), bentonite, charbon actif, voire filtration tangentielle pour éviter le collage.
  • Une attention accrue à la conformité éthique tout au long de la chaîne, y compris le lavage des cuves, l’étiquetage et les matériaux de conditionnement.

Selon l’Observatoire Français des Consommations Responsables (OFRC, rapport 2023), 20% des vins bios français sont aujourd’hui vinifiés sans intrant animal. Une proportion qui a doublé en cinq ans — preuve que la technique franchit un cap, notamment dans des régions comme la Loire et l’Alsace, pionnières du véganisme viticole.

Parlons-en, justement, des agents alternatifs. La protéine de pois, star de la clarification végane depuis sa validation par l’OIV en 2017, a su prouver qu’elle ne “plombait” pas le goût ni la finesse aromatique : des dégustations à l’aveugle menées en 2022 par l’Institut Français de la Vigne et du Vin (source IFV, mars 2023) sur 120 cuvées révèlent que 47% des œnologues professionnels n’identifient aucune différence entre un vin collé traditionnellement et son équivalent végan. Et sur pinot noir ou chenin blanc, les préférences organoleptiques penchent même parfois vers la version végane : tannins mieux fondus, arômes plus francs.

En Alsace, le Domaine Valentin Zusslin témoigne (Terre de Vins, nov. 2022) que le recours à la bentonite ou la protéine de pois a permis de gagner en limpidité… et parfois d’exprimer des notes plus vives, moins “arrondies” par la souplesse qu’apportait la colle d’œuf. Mais la stabilité des vins – en bouteille comme à l’export – reste très satisfaisante sur la plupart des cépages locaux.

Enfin, les avancées en filtration tangentielle ou cross-flow séduisent les domaines à la recherche d’une limpidité sans collage, préservant au passage la structure et la fraîcheur. Preuve sur pièce : Château La Lagune (Haut-Médoc), reconnu pour ses innovations écologiques, utilise ces méthodes pour signer des vins qui n’ont rien à envier à leurs voisins plus traditionnels (propos recueillis dans Le Figaro Vin).

Reste LA vraie question : ces innovations séduisent-elles le cœur exigeant des prescripteurs (sommeliers, cavistes haut de gamme, clubs de dégustation) et des clients du “beau vin” ?

  • Retours positifs : Selon un sondage Vin & Société d’octobre 2023, 31% des œnophiles français jugent « très positivement » l’apport des techniques véganes chez les vignerons engagés et bios, y voyant une marque supplémentaire “de transparence et de respect du vivant”. Ce taux grimpe à près de 41% parmi les moins de 35 ans !
  • Réserves et doutes : Les réfractaires, eux, reprochent souvent un “manque de recul sur le vieillissement” ou des résultats jugés “irréguliers” sur les grands millésimes, en particulier en Bourgogne et à Bordeaux. Certains craignent une “uniformisation du goût”, à tort ou à raison selon les experts du comité de dégustation Bettane+Desseauve (source dossier 2023).
  • Facteur mode versus réel ancrage : Pour les dégustateurs aguerris, c’est souvent le discours, plus encore que la technique, qui crispe : la revendication “100% végane” mal ficelée peut hérisser le poil du client “tradition”. Mais, sur le fond, nombre de sommeliers des étoilés s’enthousiasment pour ces cuvées quand elles brillent à l’aveugle, sans dogmatisme.

Anecdote révélatrice : lors des Trophées du Vin Bio 2022, deux vins véganes ont été médaillés d’or “au nez et à la bouche”, sans que le jury ne sache leur profil éthique (Sud-Ouest, mars 2022). Comme quoi, le palais sait oublier ses préjugés s’il est bien guidé…

S’il est un terrain où les innovations font débat, c’est bien celui de la transmission des savoirs. Le Bordelais, gardien de ses classements historiques, avance à pas prudents. Dans une enquête récente de l’IFCŒ (Institut Français de la Consommation Œnologique, avril 2024), 54% des vignerons bordelais déclarent “ne pas être encore convaincus” par le collage végétal, contre seulement 31% en Val de Loire et… à peine 22% chez les indépendants du Languedoc.

Région viticole Vignerons ouverts au véganisme
Loire 69%
Alsace 57%
Bordeaux 23%
Languedoc 78%

Les différences d’adhésion se marquent aussi à l'échelle des consommateurs : 41% des amateurs de 18-39 ans ont déjà acheté une bouteille de vin “explicitement végane” contre… seulement 13% chez les plus de 60 ans (Observatoire VinBio, 2023).

Malgré tout, la notoriété croît : 1 Français sur 4 déclare avoir “entendu parler” de vinification végane en 2023, contre 11% seulement en 2020 (Vin & Société, nov. 2023). L’écart se comble lentement, impulsé par les jeunes générations et la restauration engagée.

Côté chiffres, le marché reste confidentiel mais dynamique. Selon le Syndicat des Vins Biologiques (CVB), le marché des vins labellisés véganes a progressé de 78% en France entre 2018 et 2023 (stupeur au rayon bio…). On estime à environ 29 millions de bouteilles produites en version 100% végane en 2023, soit à peine 3% de la production française globale… mais une courbe de croissance qui explose.

  • Le secteur est porté par l’intérêt croissant du CHR (Cafés, Hôtels, Restaurants) pour la traçabilité et la réassurance vis-à-vis du public allergique, intolérant… ou simplement engagé.
  • La grande distribution s’y met : Carrefour et Biocoop ont doublé leur référencement de cuvées “vegan certifié” entre 2021 et 2023 (Linéaires, fév. 2024).
  • À l’export, la demande britannique et allemande a tiré le marché français, la France ayant triplé ses expéditions de vins végans en trois ans (Business France, déc. 2023).

Mais attention, moins de 1% de crus classés proposent aujourd’hui une version “garantie végane” de leur vin phare (source Decanter, 2024). La route reste longue vers la consécration du grand vin vegan made in France.

Des tendances structurantes se dessinent toutefois :

  • Les écoles d’œnologie intègrent pour la première fois en 2024 un module obligatoire sur les techniques de collage végane et leurs limites, répondant à la demande… de la filière (AgroParisTech, programme 2024).
  • Des concours internationaux, tels que l’International Wine Challenge, préparent (enfin) une catégorie “wines for plant-based diets” pour 2025.
  • Les géants du bouchon (Diam, Amorim) développent des gammes sans colle animale pour satisfaire aux exigences du marché vegan, rendant l’offre plus lisible et compatible… même pour les très grands crus.
  • La transparence progresse : QR-codes sur bouteille, labels Vegan Society et V-Label multilingues, tractant la demande au-delà du seul cercle des convaincus.

Pour qui scrute les rayons des caves en 2024, impossible de passer à côté de la dynamique “vin végane”. Si l’acceptation demeure variable, nul doute que la technique affine ses preuves : les dégustateurs pointus, en dehors de tout militantisme, admettent désormais qu’un “grand vin végane” n’est plus une hérésie, mais une promesse – parfois brillamment tenue.

La question, dans les prochaines années, ne sera sans doute plus “est-ce qu’un vin vegan peut séduire le public d’initiés ?”, mais “lequel sera le premier à décrocher les mythiques 100 points Parker… sans la moindre trace d’œuf ni de poisson dans la cuve”. Ce jour-là, la révolution végane pourrait bien être gravée, pour de bon, dans le marbre des plus grands vins de France.